• Je me souviens

    Au Québec, on le sait, les plaques de char ont de la mémoire. Une devise simple mais puissante les orne :  »Je me souviens ». Faut dire qu’avant d’être ce rappel de mémoire, le texte décoratif de la plaque était le fort peu épique  »la Belle Province* »…

     

    La devise elle même fut apposée sur les armoiries officielles en 1939 mais elle était déjà employée depuis un bon bout. En fait, elle était gravée dans la pierre du Parlement depuis 1883 sous les armoiries de Québec. Le type à l’origine de cette gravure est Eugène-Étienne Taché, qui est aussi le grand responsable de la façade du Parlement. Celle-ci est décorée des statues de nos vedettes historiques : une grande majorité de Canadiens-Français, quelques Amérindiens et les Anglais qui étaient les plus sympathiques à notre nation.

     

    La signification de la devise n’est pas particulièrement complexe mais y gagne en efficacité. Thomas Chapais, historien, déclare lors de l’inauguration du bronze de Lévis au Parlement : «[…] la province de Québec a une devise dont elle est fière et qu’elle aime à graver au fronton de ses monuments et de ses palais. Cette devise n’a que trois mots: «Je me souviens»; mais ces trois mots, dans leur simple laconisme, valent le plus éloquent discours. Oui, nous nous souvenons. Nous nous souvenons du passé et de ses leçons, du passé et de ses malheurs, du passé et de ses gloires.»

    Une bataille de fleurs

    Peut-être avez-vous déjà entendu des gens vous obstiner sur la véritable signification de notre devise. Elle serait en fait  »Je me souviens, que né sous le lis, je crois sous la rose ». Donc, que né dans le régime Français (le lis/lys), je grandi dans la joie du régime Anglais (dont la rose est un symbole). Notre devise serait donc presque un vœu de loyauté envers la Reine! Take that, Quebeckers!

    En fait rien n’est plus faux. La confusion remonte à plusieurs années, par la faute du journaliste Don Macpherson et de l’auteur canadien John Robert Colombo. Tous deux, faisant preuve soit d’un certain laxisme ou soit de mauvaise foi, confondent en fait 2 devises distinctes et ce sur la base de témoignages assez douteux.

    Toutes les études sérieuses rapportent la même chose :  »Je me souviens » est bel et bien la devise choisie par Eugène -Étienne Taché pour incarner l’esprit de la nation canadienne-française, sans aucun attachement émotif quelconque envers les têtes couronnées anglaises.

    L’autre devise,  »née* dans les lis, je grandis dans les roses », serait aussi de Taché, mais cette fois pour un autre monument complètement différent. Il était destiné à honorer la nation canadienne dans son ensemble mais ne fut jamais concrétisé.

     

    Pour finir, voici une lettre de Taché lui-même s’exprimant sur ses intentions par rapport aux statues du Parlement :

    Le campanile et les avant-corps qui le flanquent sont dédiés respectivement aux trois grandes personnalités qui s’identifient avec l’origine de notre histoire.

    Le campanile à Jacques Cartier, dont la statue domine tout l’ensemble; l’avant-corps de droite (en regardant l’édifice) à Champlain, celui de gauche à de Maisonneuve. Ensuite, à cause de l’influence suprême du clergé sur nos destinées, je fais entrer dans la première série de niches comprises dans le 2me [sic] étage de cette partie de notre édifice ci-dessus décrite, l’image des hommes les plus marquants de nos annales religieuses: Laval, Bréboeuf [Brébeuf], Marquette et Olier.

    Dans le premier étage, au-dessous de ces derniers, figurent les grands capitaines: Frontenac, Wolfe, Montcalm et Lévis.

    Enfin, je réserve une des niches formant partie du rez-de-chaussée des avant-corps, à la statue de Lord Elgin, dont la mémoire sera toujours vivante au milieu de nous.

    La fontaine, embrassée par une rampe semi-circulaire donnant accès à l’entrée principale, avec niche et fronton, est destinée à rappeler le souvenir des nations sauvages, la plupart disparues de cette terre que nous habitons, autrefois leur domaine.

    Sur ce roc, site de l’ancienne bourgade de Stadaconé, il n’est pas, il me semble, hors de propos de rappeler ce souvenir.

    En premier lieu, je m’étais arrêté là.

    Après mûre réflexion, présumant que nos descendants seraient aussi jaloux de payer leur tribut de reconnaissance à ceux des hommes de notre siècle, qui ont le plus contribué au bonheur et à la grandeur de notre pays, j’ai disposé dans les ailes réunissant les avant-corps susdits aux pavillons d’angle de l’édifice, huit piédestaux lesquels, avec la niche correspondante à celle vouée à Lord Elgin, qui n’a pas encore de destination, pourront être remplis par une autre génération avec beaucoup plus de justice, de discernement et avec moins de parti pris que nous ne le saurions faire aujourd’hui.

    Dans les trumeaux compris entre les ouvertures du premier étage des ailes en question, j’ai ajouté les armes des principaux Gouverneurs du régime Français, savoir: D’Argenson, Tracy, Callières [sic] et Vaudreuil.

    Celles du chevalier de Montmagny et du Marquis d’Aillesbout [sic] étant aussi intercalées dans la décoration du campanile.

    De l’autre côté, comme pendant à la partie ci-dessus décrite, je fais entrer les armoiries des Gouverneurs Anglais les plus sympathiques à notre nationalité: Murray, Dorchester, Prevost et Bagot.

    Au-dessus, dans le 2me [sic] étage, sur des cartouches compris dans des panneaux disposés d’une manière analogue à ceux déjà indiqués, j’inscris les noms suivants: Iberville, Joliette, Lassalle [sic], Boucher, Nicolet, de Beaujeu, Hertel et Laverandrye [sic]

    Telle est à peu près cette partie de l’ensemble des souvenirs que je veux évoquer, tout en laissant à nos descendants l’occasion et le soin de le compléter.

     

     

     

    *Petit rappel linguistique :  il est bon de savoir que  »province » vient de  »Pro Victis », c’est-à-dire  »pour les vaincus », bref rien pour faire son frais !

    *Au féminin car le monument devait comporter une statue d’une jeune femme.

     

    Sources :

    http://www.drapeau.gouv.qc.ca/devise/devise.html

    Et la recherche extrêmement instructive de Gaston Deschênes :

    http://agora.qc.ca/documents/quebec_-_etat–la_devise_je_me_souviens_par_gaston_deschenes

     

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